LE CHÂTEAU FORT DE LESPINASSE
DES MONTAGNES D’AUVERGNE
Le
château de Lespinasse est situé à flanc de coteau, sur la commune de Saint-Beauzire, près de
Massiac, entre Haute et Basse-Auvergne. C’est
l’un des rares castels de cette région qui a conservé son aspect médiéval.
(1), l’un des plus anciens et pourtant des mieux conservés. Ses tours,
donjon carré, souterrain, échauguettes, mâchicoulis, courtines, bretèche, meurtrières, boulins, four banal, coussièges, cheminées médiévales, escaliers en
vis, chambres et antichambres
médiévales, fresques du XVème, blason
des comtes d’Auvergne, suffisent à satisfaire les imaginations les plus
exigeantes. Les remaniements successifs
qu’il a subis ne l’ont pas défiguré. Il
a échappé aux destructions et mauvaises restaurations. Le XIXe siècle
ne l’a pas pastiché. Gaston de Jourda de Vaux dans son ouvrage sur les
châteaux historiques de la Haute-Loire précise que « Le cartulaire de
Brioude et les titres de cette église, prouvent que ce fief existait dés la plus haute antiquité » (2).
Lespinasse est mentionné dans le
cartulaire de Brioude mais il n’a pas beaucoup de liens féodaux avec cette cité.
Les seigneurs de Lespinasse ne faisaient pas foi et hommages aux puissants
chanoines comtes de Brioude comme la
plupart des seigneurs locaux du Brivadois. En revanche, la branche des Lespinasse originaire des
environs de Saint-Flour et celle près de Chaudes-Aigues compte des
chanoines-comtes de Brioude confirmant ainsi son appartenance à une
noblesse d’extraction chevaleresque sur preuves de 1305. Les seigneurs de
Lespinasse rendaient hommage directement au roi
à travers les Bourbon et même la reine Margot. Leurs fonctions
féodales de capitaine s’exerçaient sur
les monts d’Auvergne c'est-à-dire approximativement dans les limites du
département du Cantal. Leur évêché était
celui de Saint-Flour. Lespinasse est
d’extraction antique et chevaleresque.
Une famille puissante venue de Bourgogne, le rendra illustre aux XIVe et
XVe siècle. Après 1620, il connut de nombreux propriétaires qui le plus souvent lui apportèrent le confort de l’époque sans affecter sa silhouette de forteresse émergeant de la
nuit des temps face aux monts du Cantal
et du Livradois.
SON ORIGINE CHEVALERESQUE ET ANTIQUE
Le
premier seigneur connu est le chevalier Lambert d’Or (3). Il accompagne Philippe-Auguste à la croisade de 1187 à
laquelle prit part Saint Bernard.
Lambert d’ Or figure sur la liste
des écuyers d’Auvergne avec le titre de
chevalier de Lespinasse (4). A son
retour de croisade, le roi lui accorde la dîme féodale sur toutes ses terres.
Il reçoit le « Chastel de
Lespinasse ». C’est ainsi que la demeure
de Lespinasse dont il est le seigneur deviendra un château. Peu de
nobles disposent des moyens de faire édifier un château et de l’entretenir. Le
chevalier d’Or a une aisance foncière. Il est
aussi le seigneur de la châtellenie
de Moissat, de Saint-Etienne et d’une partie du Luguet. Il a les moyens
financiers pour être chevalier : le coût de l’équipement, l’entraînement
indispensable. C’est d’ailleurs la seule
restriction à cette époque, avec bien sûr la capacité physique pour
rentrer dans la « militia ».
Cette fonction guerrière est de fait assez ouverte. La majorité des chevaliers n’a pas la qualité d’écuyer. De cette époque, il reste encore deux étages de la tour seigneuriale[i](5).Ils
serviront de base à l’édification en 1358 d’un donjon carré. Henri Sauval, le
grand historien du XVIIe siècle, dans ses « preuves des antiquités » atteste qu’ « Une tour avait été
construite en 1100 pour le soutien du Chastel et fort de Lespinasse. » En
1208, le seigneur de Lespinasse, Jean d’Or,
le fils de Lambert d’Or, part en croisade contre les cathares. Il obtient du
roi à son retour « lettre de dons et privilège de ses dîmes (6). Une
ordonnance royale de 1239 lui confirme ses droits de haute et basse justice sur
la seigneurie de Lespinasse. En 1281, l’existence de la « domus
Lespinassa » (logis seigneurial de Lespinasse) est confirmée. Elle est l’héritière de la villa
gallo-romaine spinatia, du latin Spina, les épines. Elle est citée en 934, à
l’époque des carolingiens, dans le cartulaire de Brioude¸ chapitre XVI(7).
Cette
longue période de l’histoire antique et féodale de Lespinasse n’a pas
beaucoup intéressé les historiens locaux et pourtant les
témoignages architectoniques sont riches. L’implantation de Lespinasse est
conforme aux prescriptions des romains : à flanc de colline, à l’abri des
vents dominants, face aux monts, là où les sources abondent. L’implantation au
sommet d’une colline fait courir le risque d’un manque d’eau en cas de siège.
Le système d’irrigation des romains par « tubulus » subsiste
entièrement. Il va chercher l’eau dans la colline au sud par un réseau de
tuyaux en terre cuite qui s’emboitent les uns dans les autres avec une
extrémité en forme de rotule. L’eau alimente une ancienne fontaine dite gallo-romaine, les
puits de la grande cuisine, des réserves d’eau en sous sol. Ces tubulus sont
régulièrement enterrés dans la colline à 80 cm dans le sol. Ils sont entourés de pierres plates en quartz. Ce
travail de romains leur assure aujourd’hui une protection au passage des
tracteurs. Ces tubulus ont été fabriqués dans une forge antique sur le site de
Lespinasse, au lieu dit « Le feu ». Dans ses ruines, en 1880 des
archéologues ont découvert les moules qui
sont à l’origine de toutes les terres cuites de Lespinasse jusqu’au
XVIIIe siècle. Ces moules ont été déposés au musée du Puy-en-Velay(8). Le
pavement de la cour d’honneur du château ainsi que celui des anciennes écuries
est en quartz taillé comme savaient le faire les romains. Alphonse Vinatier (9)
le grand expert de la période gallo-romaine a validé ces recherches. Il a découvert qu’une voie romaine traverse
les terres de Lespinasse vers le sud au lieu dit « l’estrade ». La
famille d’Or habite Lespinasse jusqu’en 1350[ii](10).
Elle le cède ensuite à une puissante famille bourguignonne, les Changy-L’Espinasse.
SA PERIODE ILLUSTRE AVEC LES CHANZY-L’ESPINASSE
Erard de
L’Espinasse, chevalier, seigneur de
Chanzy, de Maulévrier, d’Artaix et Chenais achète le château de Lespinasse
en 1350. Il est originaire de la
baronnie de L’Espinasse du baillage de Semur en Bourgogne, qui
remonte à 1131 avec Guy de L’Espinasse .La maison de Chanzy-L’Espinasse
devient celle de Lespinasse-Saint-Beauzire. Mais « Les L’Espinasse de
Bourgogne n’ont pas pu donner leur nom au fief brivadois de Lespinasse qui existait dés la
plus haute antiquité « (11). Le duc Louis II de Bourbon nomme le 28 août 1358 Erard de Lespinasse capitaine des Montagnes d’ Auvergne et du
diocèse de Saint-Flour. Il fit remanier
aussitôt avec l’autorisation de Louis II de Bourbon, la tour du XIIe siècle du
chevalier d’Or en un donjon carré avec mâchicoulis sur corbeaux, parapet crénelé, escalier à vis en forme
d’échauguette, tourelle de guette... Ce
donjon carré subsiste encore de nos jours en parfait état de conservation sans
restauration. Nous n’en trouvons que peu
d’exemples en Auvergne ou Forez (12). La seigneurie passe ensuite au fils
d’Erard, Philippe ou Philibert de Lespinasse,
chevalier, dit Cormoran, gouverneur d’Auvergne en 1363. Il est le père de Louis
qui épouse à Lespinasse Jeanne Dauphin
d’Auvergne (13), la sœur de Blanche Dauphin d’Auvergne, la seule héritière des
anciens comtes de Clermont, Dauphins d’Auvergne. Blanche Dauphin est la fille de Béraud II d Auvergne (13) tué à Azincourt en 1415 avec son
père et son oncle. Après le décès de son frère, elle est de ce fait héritière de cette antique race
chevaleresque éteinte à Azaincourt. Elle quitte alors la forteresse des
Dauphins d’ Auvergne de Saint-Ilpize pour s’installer à Combronde. Sa sœur
Jeanne Dauphin résidera à Lespinasse avec son époux Louis de Lespinasse. Ce
dernier portera alors le nom et les armes des Dauphin. C’est de cette époque que date la construction
du corps de logis encadré par deux grosses tours , qui comporte aux étages
des appartements adaptés aux habitudes du XVe siècle avec de confortables chambres d’apparat dont , des anti chambres,
d’immenses cheminées dont celle de la grande salle d’apparat , sur laquelle
est sculptée le blason des comtes d’Auvergne , un gonfanon de gueule frangé de
sinople, supporté par deux anges et surmonté d’une branche de chêne. Le
deuxième fils de Blanche Dauphin d’Auvergne, Poncet, bailli des Montagnes
d’Auvergne réside dans cette demeure qu’il transmet à sa fille Claudia. Elle l’apporte par mariage
en 1501 à Renaud de Langhac. Les Lespinasse-Langheac , seigneurs de Lespinasse,
eurent de riches alliances avec les
Polignac, Chazeron, Dupuy du Fou, Combronde, Chabannes La Palice, La
Rochefoucauld, Dienne, Amboise, Balsac (15).
Ils ne résidèrent pas au château de Lespinasse à l’exception
de Poncet, le deuxième fils de Blanche, bailli des montagnes d’Auvergne
(16). Lespinasse était alors une châtellenie confiée à un capitaine. Ce sont les
La Rochefoucauld en 1620 qui vendront Lespinasse à des seigneurs
locaux. Ces derniers l’habiteront car la seigneurie de Lespinasse représentait
pour eux une ascension sociale.
SES
DIFFERENTS PROPRIETAIRES APRES 1620
Les mutations
successives n’entament pas l’aspect général de Lespinasse, celui des places
militaires d’autrefois (16). Louis de La Rochefoucauld vend Lespinasse à un
voisin, Jean du Mas, seigneur de Lodines dont le château avait été détruit
pendant les guerres de religion. Son fils le cède à un autre voisin, Guillaume
de Torsiac, seigneur d’Espalem. Il vend le château le 22 août 1624 à son
gendre, Pierre Arnauld, Commissaire de la marine royale, de la famille de l’abbesse
de Port-Royal, époux de Péronnelle de Torsiac. Le château était resté dans l’état et le
confort du XVe siècle. A partir de 1650 dont l’année est inscrite au dessus de
la porte d’entrée, Arnauld apporte d’heureuses améliorations intérieures qui
ont rendu la vie agréable et fera que ce vieux château sera toujours habité et
sauvé de la ruine. Etienne Arnauld de Lespinasse, écuyer, décède sans
successeur en 1738 dans son château de Lespinasse. Il le lègue à son neveu
Pierre Joseph Gueffier de Longpré,
lieutenant au régiment de Bresse. Son petit fils Edouard de Boisset de Torsiac
en hérite le 8 octobre 1738. Après la Révolution, le château reste dans la descendance des Gueyffier(17) ,
jusqu’en 1890, date de la mort, à Lespinasse, d’ Antoine de Boisset de Torsiac qui sans interruption, pendant
trente années, a habité le château reçu
en donation de sa mère Jeanne-Antoinette Gueyffier de Lespinasse. Ses héritiers
vendirent le château au comte de
Froidefont de Florian, ministre plénipotentiaire. Entre les deux guerres, il
devint la propriété des Malet de Brioude.
Les héritiers du comte de Brye de Vertamy, apparentés aux Lespinasse-Langeac, le transmettent à leurs cousins, la famille
Berchebru de Foucaud représentée par Me Alain de Foucaud, avocat. Ces
derniers ont entrepris depuis plus de 25 ans d’importants travaux de
restauration sous la direction de Stéphane Thoin, architecte en chef des
monuments historiques. Le parc du château de Lespinasse entouré de sucs (petits
volcans) s’ouvre avec un grandiose dégagement sur la ligne d’horizon
bleutée des Monts du Cantal et du Livradois.
Le parc a fait l’objet d’une inscription européenne Natura 2000 pour protéger des espèces de papillons et de chauves-souris
en voie de disparition. La tradition rapportée par le Comte de Brie de Vertamy
atteste que le château était de tout temps entouré d’enceintes défensives d’arbustes piquants en pruneliers,
houx, genévriers, aubépines et ronces. Elles
seraient à l’origine du nom Spinatia, Lespinasse, les épines. Aussi leur anastasie est en cours.
C’est
ainsi que le château de Lespinasse « apporte une évasion en plein cœur des
siècles disparus » (René Monboisse)(18).
Alain Berchebru de Foucaud
(1) Abbé Julien Lespinasse, chronique du Brivadois, p.
227, Brioude, 1965.
(2)Gaston de Jourda de Vaux, les châteaux historiques
de la Haute-Loire, p. 255, Le Puy, 1918. Le château de Lespinasse est
l’héritier de la villa gallo-romaine
Spinatia, citée en l’an 934 ( Cartulaire de Brioude, ch.16 ), In Brivatensi,
villa Illa Spinatia. Dictionnaire du département de la Haute-Loire à Lespinasse,
château, commune de Saint-Beauzire, Augustin Chassaing, Antoine Jacotin, 1907,
Paris
(3)Olim d’Ore, de Dore, de Dor, Daure, d’Aure ; P.
Salichon, le fenestrou, note sur quelques demeures, no 25, 1994.
(4)Ecuyer désigne un homme appartenant à la noblesse et
ne la tenant pas d’une charge.
(5)La présence du chevalier d’Ore est assurée :
Bruno Phalip, note du 7 octobre 1993.
(6)Sauval, Les preuves des antiquités, Paris, 1724, tome
3, pages 252 à 256.
(7)Lachenal, l’église de Brioude, 1930. Chassaing,
dictionnaire topographique de la Haute-Loire, Paris, 1907.
(8)Ces précieux moules ont disparu du musée.
(9)Après son décès, ses importantes archives ont été
déposées au musée de Saint-Flour.
(10)Une branche d’Aure (Olim d’Or) a fait souche dans
le Languedoc. En 1635 Jeanne d’Aure épouse Guérin de Foucaud. La maison d’Aure fusionne
alors avec les Foucaud qui sont issus de la maison de Saint-Martial .Grand armorial de France, tome IV, p. 42. La fille de Catherine de Foucaud, Françoise, avait épousé le 8 juin 1559 son cousin Rigaud
de Saint-Martial, bailli des Montagnes
d’Auvergne, dont Charles-Joseph qui épousa en 1752, une corrézienne,
Louise-Angélique de Combarel-Gibanel
Archives du château de Lespinasse.
(11)Gaston de Jourda de Vaux, op. cit. p.255. Contra Françoise
Thierry, les L’Espinasse de Champagne, 1972.
(12)Bruno Phalip, seigneurs et bâtisseurs, p.122,
Moulins, 1993.
(13)Chabrol, coutumes locales, tome IV, p.208, Riom,
1786. Archives du château de Lespinasse.
Notes manuscrites de Maître Boncompain, notaire à
Brioude, en date du 10 novembre 1932, portant sur l’origine de propriété du
château de Lespinasse. Archives privées du Comte de Bouchard d’ Aubeterre,
transmises au château de Lespinasse.
(14)Comte de Brye de Vertamy, communication du 21 août
1968.Archives du château de Lespinasse. Dans quelques documents, c’est Jeanne
Dauphin d’Auvergne qui est citée à tort me semble t’il. Il semblerait
plus normal que Blanche qui était Dame de Combronde ait résidé dans l’important
château de Combronde, aujourd’hui ruiné, ainsi que son fils héritier par
substitution des Dauphin d’Auvergne. Par Jeanne Dauphin, le château de
Lespinasse rentra dans la possession des
Dauphins d’Auvergne. C’est ainsi que le
blason des comtes d’Auvergne, dument authentifié, a-t-il été timbré sur la clef
de voute de la grande cheminée du XVème .La tradition rapporte que ce
blason a été sculpté le jour du mariage
de Jeanne Dauphin avec Louis de Lespinasse en 1430.
(15)Philippe de Lespinasse épouse en 1474 Margueritte
de Balsac qui était la sœur de Marie, épouse de l’amiral Louis Malet de
Graville. Il était l’un des plus puissants conseillers de Louis XI, Charles V
et Louis XII. Il mourut le 30 octobre 1516 dans son château de Marcoussis.
(16) Le fils aîné de Blanche ne réside pas à
Lespinasse. Par testament de 1467, Blanche Dauphin d’Auvergne l’institue comme
son légataire universel. Ce dernier, Béraud IV de Lespinasse-Dauphin
épousera Antoinette de Polignac, fille
du vicomte de Polignac.
(17)Deux parchemins en date de 1759 portant compromis
quant à des limites de parcelles, attestent que le fief de Lespinasse était
important, il comprenait le châreau de La Chomette, Bayssat, Vazeillette…
Archives du Comte de Bouchard d’Aubeterre qui les a
transmises au château de Lespinasse.
(18)René Monboisse, Lespinasse, édition Ouest-France,
2012, p. 69. Le Président René Monboisse
est apparenté aux Lespinasse par son
épouse qui descend de l’illustre famille de Dienne et des Dauphin de Lespinasse.
Il est l’auteur de nombreuses et intéressantes publications dans la revue de la
Haute-Auvergne, et notamment d’un
ouvrage de grande qualité sur l’ordre féodal des Montagnes d’Auvergne du XIIe
au XVe siècle, .Société des lettres, sciences et arts « La
Haute-Auvergne », 2012, Aurillac.